2009/11/01

Petit Géant parmi les grands

un billet récupéré, recyclé et réutilisé
(publié originalement le 30 août 2009)

Si je me souviens bien clairement de la soirée, la date par contre, j'ai dû la chercher... C'était le 9 octobre 1971. Il s'agit pour moi du plus lointain souvenir que je puisse avoir d'une cérémonie organisée par le Canadien de Montréal avant la présentation d'un match. On retirait alors un chandail, avec le numéro 4 bien imprimé au dos. Bien sûr, c'est le Gros Bill qui était le jubilé, son numéro hissé. On l'avait offert à un joueur-recrue que l'on venait tout juste de repêcher et qui était destiné à de bien belles choses. Il l'avait refusé. Mais la pensée que j'ai aujourd'hui n'est ni pour Jean Béliveau, ni pour Guy Lafleur. Je pense à ce frêle homme que j'ai connu dans la télé de mes parents ce soir-là et dont le nom, pour une raison que j'ignore encore, car jamais je ne l'avais vu jouer, serait à jamais inscrit dans ma mémoire. Je pense à l'un des invités d'honneur de la soirée qui s'appelait Aurèle Joliat.





Aurèle Émile Joliat
(1902/08/29 -1986/06/02)


Bien avant que Béliveau ne voit le jour, Joliat avait déjà endossé le quatre. Le précédent occupant du célèbre chandail avait été la grande vedette des années 1910 Edouard "Newsy" Lalonde. Un des nouveaux copropriétaires du Canadien en 1921, Léo Dandurand, et son joueur étoile ne s'entendant guère, on a donc décidé de s'en départir et de le «vendre» pour $3 500 à une équipe de la ligue canadienne de l'ouest avec retour en compensation d'un jeune joueur amateur. La transaction qui a été fort contestée par la ligue nationale, qui réclamait un droit de premier regard avant tout autre ligue, n'était pas plus populaire auprès des partisans. Lalonde, dont le contrat annuel était de l'ordre de $5 000, était établi comme l'un des meilleurs marqueurs de la ligue et le joueur de 21 ans nouvellement acquis ne mesurait que 5'7'' et faisait pencher la balance à 136 lbs.

L'acquisition, risquée dans le contexte de la défaveur populaire, d'un joueur de si petit gabarit n'est-elle pas sans rappeler...?

Natif d'Ottawa, Aurèle Émile Joliat, était à son arrivée à Montréal un pur inconnu. L'ailier gauche, qui devint connu par la suite comme le «Mighty Atom» ou le «Little Giant», a pu épater la galerie dès son premier match. Malgré une défaite de 7 à 2 au dépens de Toronto, il fut le seul marqueur de buts du Canadien. C'est toutefois la saison suivante, alors qu'il fut jumelé à Howie Morentz, qu'il a éclaté. Membre de la formation du Canadien qui a inauguré l'ancien Forum coin Ste-Catherine et Atwater, le 29 novembre 1924, Joliat avait alors compté 2 buts dans une victoire de 7 à 1 contre les Pats de Toronto. Moins spectaculaire que Morentz, il excellait toutefois par son jeu défensif et ses forces en contre-attaque, alliant rapidité et robustesse.

Pourtant il s'en fallut de peu pour que Joliat ne connaisse pas cette merveilleuse carrière de 16 saisons, gagnant 3 Coupes Stanley et un trophée Hart. Il l'avait échappé belle alors qu'adolescent, travaillant à refaire une toiture, il avait chuté de 25 pieds et atterri sur le dos. Sans être sérieusement blessé il a toutefois joué toute sa carrière de hockeyeur avec deux vertèbres déplacées. Malgré ses problèmes de santé, douleurs au dos et ulcères d'estomac fréquents, le joueur de petite stature n'était pas moins redouté des ses adversaires et ne reculait jamais devant les affrontement à un contre un.

Entre autres faits d'armes, Joliat a été sélectionné ailier gauche sur la toute première équipe d'étoiles de la ligue nationale en 1931, puis sur la deuxième équipe en 1932, 1934 et 1935. En 1933-34, il a connu sa troisième saison consécutive de 20 buts (le calendrier régulier comptait alors 48 parties) et s'est mérité le trophée Hart remis au joueur le plus utile à son équipe.

Joliat a pris sa retraite en 1938, après avoir amassé 270 buts et 468 points.en 654 parties. Il a tenu longtemps le record de buts marqués par un ailier gauche. Il a été intronisé au temple de la renommée du hockey en 1945, au temple sportif de la renommée d'Ottawa en 1966 et au panthéon des sports canadiens en 1975. On dit que c'est le décès de Morenz en cours de saison en 1937 qui aurait l'aurait affecté puisqu'il en était très proche et incité à se retirer. Joliat est décédé à 84 ans en 1986.

Tous ceux qui l'ont connu de près disent que Joliat était d'un bon vivant et un conteur hors pair friand de l'attention du public. Personnage coloré en effet, sa dernière apparition publique fut lors d'une autre cérémonie donnée à l'ancien Forum de Montréal le 12 janvier 1985 célébrant cette fois-ci les 75 ans du Canadien ainsi que le 60ième anniversaire du Forum. Pour l'occasion, on avait présenté sur la patinoire l'équipe de rêve (Dream Team) composée de Maurice Richard, Jean Beliveau, Dickie Moore, Jacques Plante, Doug Harvey et Larry Robinson et de l'entraîneur Hector "Toe" Blake. Une fois les légendes bien installées sur le tapis rouge, Claude Mouton annonçait une grande surprise aux spectateurs et invita le plus vieux Glorieux encore vivant, Aurèle Joliat alors âgé de 83 ans.


Le Dream Team tel que voté par les partisans lors du 75ième anniversaire
du Canadien entourent Aurèle Joliat


Un octogénaire fougueux mais maladroit, n'ayant jamais perdu ni honneur ni fierté, qui est venu saluer une dernière fois l'amphithéâtre inauguré 60 ans plus tôt en patinant son dernier tour de piste coiffé de sa caractéristique casquette noire qu'il n'a pas hésité à enlever...





Anecdotes sur Aurèle Joliat


Newsy Lalonde et Aurèle Joliat se sont croisés deux ans après la transaction qui les avaient impliqués. Apparemment Lalonde avait pris d'un mauvais oeil la faveur populaire qu'avait acquis son remplaçant, en lui assénant une violent double-échec en plein visage.

Avant même de devenir professionnel, Joliat s'était compromis avec de douteuses fréquentations. Il avait été embauché par une équipe intermédiaire de Iroquois Falls qui disputait un championnat et, avant un match, avait rencontré une paire d'individus qui lui auraient offert $500 pour perdre la partie. Joliat qui n'avait jamais vu autant de fric de sa vie, a pris la liasse qu'on lui avait tendue et s'est dépêché pour se préparer au match. Une fois la partie amorcée, il semble qu'il ait oublié son sombre pacte dans le feu du moment et il marqua, pas un mais deux trucs du chapeau dans la victoire des siens. Réalisant ne pas avoir tenu sa promesse, il a su se défiler parmi la foule et emprunter une sortie arrière et se sauver à la gare. Apparemment il pouvait être aussi ra pide hors-glace que sur une patinoire.


Atteint de calvitie précoce, Joliat avait adopté l'habitude de revêtir une casquette noire qui est devenue pour ainsi dire sa marque de commerce. Joliat, peut-être par surperstition, refusait de s'élancer sur la rondelle sans avoir sa casquette sur la tête. Ses adversaires, connaissant son talon d'Achille tentaient constamment de lui arracher son couvre-chef afin de lui faire perdre sa concentration. Mais, vif et rapide, l'attaquant perdait rarement ni la tête, ni la casquette.


On raconte que lors d'une soirée rendant hommage à des légendes de hockey tenue dans les années 1970 à Boston, Aurèle Joliat et un de ses adversaires du temps, Punch Broadbent, en étaient venus aux poings afin de régler une vieille histoire des années 20. Et ce n'est nul autre que l'ancien président de la ligue, Clarence Campbell qui aurait négocié la paix entre les deux anciens joueurs.


Si Joliat n'était nullement inquiet de chausser les patins ce soir de janvier-là au Forum devant les partisans du Canadien, c'est probablement dû au fait qu'on le voyait régulièrement patiner le long du canal Rideau jusque vers la fin de sa vie. Si ma mémoire est bonne, on en avait montré des films d'archives datant des années 1980 dans le cadre de la série télévisuelle Le hockey, la fierté d'un peuple, dont l'ensemble DVD ne fait malheuresement pas partie de ma collection privée, du moins encore.


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